Un mode d’action innovant dans les maladies rétiniennes, quels impacts dans la prise en charge des patients ?

L’anticorps bi-spécifique, une prouesse technologique permettant d’agir sur une voie de signalisation d’intérêt, pour une meilleure prise en charge des patients atteints de maladies rétiniennes vasculaires.
Symposium Roche

Restauration de la stabilité vasculaire permise par la technologie CrossMab
D’après la communication du Pr Stéphanie Baillif
De nouvelles voies de signalisation cellulaires ont été mises en évidence dans l’étude des mécanismes physiopathologiques des maladies rétiniennes, comme l’a souligné le Pr Stéphanie Baillif. La voie Ang-2/Tie 2 est particulièrement intéressante. Elle s’appuie sur 3 récepteurs trans­membranaires, dont Tie 2, récepteur à tyrosine kinase qui a une action protectrice sur la survie cellulaire. Son ligand préférentiel est l’Ang-1. L’Ang-2 est un antagoniste compétitif de l’Ang-1 sur Tie 2, qui empêche la liaison de ce ­dernier à son ligand préférentiel. Le récepteur Tie 1 module l’action de Tie 2, son ligand est inconnu. Le troisième récepteur de cette voie est le VE-PTP, une tyrosine phosphatase qui inactive Tie 2 en conditions pathologiques. Dans les conditions physiologiques, l’action de Tie 1 protège le réseau vasculaire de l’afflux de cytokines inflammatoires et de l’hyperperméabilité, et empêche l’angiogenèse. Il permet ainsi le maintien de la stabilité vasculaire. Le switch angiogénique est l’hyperexpression de médiateurs spécifiques modifiant l’action des récepteurs précédemment cités. L’excès d’Ang-2 et de VEGF-A participe à l’activation de l’inflammation et à l’inactivation des réseaux de survie cellulaire. Cela aboutit à l’afflux de cytokines et de cellules inflammatoires, à la levée des jonctions serrées endothéliales et à une néo-angiogenèse. Les vaisseaux créés sont immatures, ­perméables et à l’origine d’une fibrose secondaire.
Il est avéré que les niveaux d’Ang-2 sont régulés à la hausse dans les maladies rétiniennes vasculaires comme la rétinopathie diabétique, les occlusions veineu­ses ou la DMLA néovasculaire (DMLAn). Dans des modèles expérimentaux mu­rins, une inhibition mixte dite « bispécifique » contre le couple Ang-2/VEGF-A a été comparée à une inhibition simple anti-Ang-2 ou anti-VEFG. Les zones de fuite choroïdienne ont été évaluées à 1 et à 5 semaines de traitement. Il existe dans ces modèles une différence significative entre les modalités d’inhibition, en faveur de la bispécifique et bien médiée par l’inhibition de l’Ang-2. De la même façon, l’activité inflammatoire représentée par l’infiltrat de macropha­ges sous-rétiniens est mieux inhibée par un anticorps ­bi­spécifique et anti-Ang-2 que par les anti-VEGF seuls. Enfin, le même modèle à 1 et à 5 semaines montre des résultats similaires sur la fibrose sous-rétinienne [1]. La difficulté soulevée est la production de ces anticorps bispécifiques avec une pureté et une stabilité suffisantes. C’est ce que permet la technologie CrossMab. Elle se base sur la création d’aspérités et d’irrégularités entre les chaînes légères et lourdes, pour une bonne congruence à la fois stable et précise, garante de la spécificité. Cette technologie fait évoluer le rendement de production de 10 à 25, puis à 100% d’anticorps cohérents au fur et à mesure de son développement [2].
Le rationnel scientifique présenté est séduisant mais doit faire sa preuve clinique, comme le montreront les études utilisant le faricimab.

Utilisation du faricimab en clinique dans les études pivotales
D’après la communication du Pr Laurent Kodjikian
L’anticorps bispécifique est issu d’une prouesse technologique. L’accent mis sur les effets vasculaires doit se retrouver au niveau clinique.
Dans la DMLAn, 2 études pivotales sont disponibles : TENAYA et LUCERNE. Elles comparent le faricimab à l’aflibercept à dose AMM. Le schéma thérapeutique pour l’aflibercept consistait en une induction de 3 injections intravitréennes (IVT) mensuelles, suivie d’un entretien en Q8 pendant 2 ans. Le faricimab est injecté en 4 IVT initiales mensuelles. Des visites réalisées 8 et 12 semaines après la dernière IVT permettent ensuite de moduler le délai d’injection au besoin du patient entre Q8 et Q16. La deuxième année, le régime d’injection se rapproche du Treat and Extend. Les gains d’acuité visuelle étaient comparables entre les 2 groupes jusqu’à 2 ans, avec un nombre médian réduit d’injections (10 vs 15 sur l’ensemble des 2 années, 3 vs 6 la deuxième année). À 12 semaines, après 3 injections initiales de chaque produit, on constate une amélioration anatomique significativement plus importante et plus rapide (évaluée en matière de fluides intra- et sous-rétiniens) pour le faricimab. Sur un modèle de survie, le faricimab atteint le 75e percentile d’assèchement complet dès la 8e semaine avec 2 IVT, vs 3 IVT et 4 semaines plus tard pour l’aflibercept. À noter qu’en ce qui concerne l’intervalle de traitement, dans le groupe faricimab, plus de 60% des patients sont traités en Q16 et 80% sont en Q12 ou plus à l’issue de la deuxième année [3].
Dans l’OMD (œdème maculaire diabétique), l’aflibercept à dose AMM avec 5 IVT d’induction suivies de Q8 a été comparé au faricimab avec 2 schémas distincts : 6 injections d’induction suivies d’un entretien en Q8 ou en « PTI » (4 injections suivies d’un intervalle personnalisé selon des critères prédéfinis, apparenté à un schéma Treat and Extend). À 1 et 2 ans, les gains visuels sont comparables entre les groupes, avec le même nombre médian d’injections entre aflibercept et faricimab Q8, mais 2 en moins pour le schéma PTI la deuxième année (3 injections en moins sur l’ensemble des 2 années vs aflibercept). Les modèles de survie réalisés en post hoc montrent le 75e percentile d’assèchement atteint dès la 20e semaine par les groupes faricimab vs la 36e semaine par le groupe aflibercept, et ce pour le même nombre global d’injections réalisées. À 2 ans, 80% des patients traités par faricimab sont à Q12 ou plus. Lorsque la fuite maculaire de fluide est spécifiquement étudiée, l’angio­graphie à la fluorescéine montre une diminution plus importante de ces zones de fuite par rapport à l’aflibercept pendant la phase de régime de traitement comparable [4].
Les données sur la tolérance du traitement jusqu’à 2 ans ne soulèvent pas de nouveau signal. Elle est comparable à celle de l’aflibercept dans la durée de suivi de ces études pivotales.

Qu’en est-il de la « vraie vie » ?
D’après la communication du Pr Ramin Tadayoni
Depuis le lancement du faricimab en ­janvier 2022, des données de vie réelle concernant plus de 13 000 patients au moins ont été récoltées, comme l’a souligné le Pr Ramin Tadayoni. L’étude VOYAGER sponsorisée par Roche vise quant à elle à inclure plus de 5 000 patients. ­L’ulti­me visite du dernier patient inclus aura lieu en 2027 mais des résultats seront disponibles avant.
La tolérance de la molécule dans de grands échantillons de vie réelle est une question cruciale et parfois problématique. Le groupe sentinelle américain ReST, organisé par l’ASRS, ne rapporte que 10 cas d’inflammation intraoculaire sur les plus de 70 000 flacons de faricimab distribués aux États-Unis au 3 juillet 2022. Un cas unique de vascularite est rapporté, dont le lien causal avec l’injection est discuté du fait de nombreux éléments cliniques confondants.
L’efficacité en conditions d’utilisation courante doit également être prouvée. Cette question trouve sa réponse au sein du registre IRIS, qui collige les dossiers de plus de 16 000 praticiens nord-américains ; 540 millions de rendez-vous sont ainsi parcourus. Cette base de données permet aux études FARETINA-AMD [5] et FARETINA-DME [6] de voir le jour. Dans la DMLAn et sur plus de 12 000 yeux traités ayant reçu leur première injection de faricimab entre février et août 2022, la majorité des patients du sous-groupe 1 à 3 injections ont vu leur intervalle allongé à plus de 6 semaines après le traitement initial. Il existe un gain d’acuité visuelle significatif dès les 4 premières injections chez les patients naïfs de tout traitement. Dans l’OMD, de la même manière, l’intervalle de traitement est étendu à plus de 6 semaines, avec une amélioration rapide et significative de l’acuité visuelle chez les patients naïfs. Une étude cas-témoins dans la DMLAn ciblant les cas réfractaires rapporte une amélioration de la réponse anatomique chez 39,3% des patients passant au faricimab, vs 7,4% de sujets continuant à être traités avec l’aflibercept. Concernant l’amélioration fonctionnelle (gain d’au moins 2 lignes), ces taux s’élèvent respec­tivement à 37,5% et 3,7%. D’autre travaux rapportent un avantage thérapeutique en matière d’ECR et d’acuité visuelle chez les patients naïfs.
Les experts insistent sur l’apport indéniable de ce traitement innovant sur la rapidité d’obtention d’une régression significative du fluide rétinien. Il ne devrait pas, en pratique courante, être réservé aux seuls patients réfractaires. Il est légitime de s’intéresser aux risques à long terme face à toute nouvelle molécule. Les données sont rassurantes face à un chiffre avancé à l’ARVO de plus de 800 000 injections dans le monde, comme l’a souligné le Pr Laurent Kodjikian.

Références bibliographiques
[1] Joussen AM, Ricci F, Paris LP et al. Angiopoietin/Tie2 signalling and its role in retinal and choroidal vascular diseases: a review of preclinical data. Eye (Lond). 2021;35(5):1305-16.
[2] Cramer DA, Franc V, Heidenreich AK et al. Characterization of high-molecular weight by-products in the production of a trivalent bispecific 2+1 heterodimeric antibody. MAbs. 2023;15(1): 2175312.
[3] Heier JS, Khanani AM, Ruiz CQ et al. Efficacy, durability, and safety of intravitreal faricimab up to every 16 weeks for neovascular age-related macular degeneration (TENAYA and LUCERNE): two randomised, double-masked, phase 3, non-inferiority trials. Lancet. 2022;399(10326):729-40.
[4] Shimura M, Kitano S, Ogata N et al. Efficacy, durability, and safety of faricimab with extended dosing up to every 16 weeks in Japanese patients with diabetic macular edema: 1-year results from the Japan subgroup of the phase 3 YOSEMITE trial. Jpn J Ophthalmol. 2023;67(3):264-79.
[5] Early Treatment patterns and outcomes in patients with neovascular age-related macular degeneration initiating faricimab: An IRIS® registry analysis (FARETINA-AMD study).
[6] Early treatment patterns and outcomes in patients with diabetic macular edema treated with faricimab: An IRIS® registry analysis (FARETINA-DME study). 

Auteurs

  • Omar Moukadem

    Ophtalmologiste

    Hôpital Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris