Les progrès de l’imagerie de la surface oculaire
À l’instar de l’imagerie rétinienne – dont les progrès fulgurants ont révolutionné la prise en charge, la compréhension et le diagnostic des maladies rétiniennes –, la surface oculaire, dont la principale atteinte est le grand ensemble physiopathologique désigné sous le nom de sécheresse oculaire, a aussi connu ses « évolutions » successives. Il est vrai que si l’accès aux tissus superficiels est plus direct que celui à la rétine, la diversité des causes et des symptômes, la discordance entre signes et symptômes, dans un sens comme dans l’autre, rendent compte des besoins de développement de nouveaux outils.
Un interrogatoire souvent bâclé faute de temps, un examen à la lampe à fente peu contributif, une fluorescéine très précieuse pour qui sait observer, chercher les détails et détecter les indices, mais souvent insuffisante pour comprendre et conclure, ne permettent guère de résoudre les mystères de la surface oculaire. La prise en charge de ses différentes pathologies doit passer par ce qui apparaît comme une vraie enquête policière, à la recherche d’indices, d’informations parfois cachées, invisibles ou oubliées, pour tenter de soulager des patients en souffrance chronique, parfois insupportable, que leurs maux, par leur intensité ou leur durée, peuvent pousser au suicide.
Enquête policière moderne signifie interrogatoire poussé, analyse fine des victimes et de leur environnement, mais aussi développement d’outils dignes de la police scientifique du XXIe siècle. Les plateformes d’imagerie et d’analyse se sont donc multipliées, au service de la compréhension et de la prise en charge des maladies de la surface. Topographes, interféromètres, aberromètres, microscopes confocaux et autres OCT ont permis de mieux analyser et de mieux comprendre certains mécanismes. Évaporation excessive, hyposécrétion, instabilité sont les marques de la sécheresse. Mais l’imagerie microscopique in vivo à un niveau quasi histologique permet désormais d’identifier la forme et la structure des nerfs cornéens ainsi que la présence, le nombre et le degré d’activation des cellules inflammatoires envahissant la cornée, le limbe et la conjonctive. Ces informations sont très précieuses, elles permettent de mieux comprendre la gêne, voire la souffrance intense des patients dont les signes cliniques ne sont pas contributifs avec les tests classiques.
Ces dernières années est apparu le concept de douleur neuropathique, pour attribuer au cerveau ou même à un syndrome douloureux général les douleurs oculaires que le test à la fluorescéine ne permet pas de relier à une atteinte cornéenne classique. Mais la police scientifique sait de plus en plus souvent rectifier ce diagnostic d’élimination, pour ne pas dire d’impuissance. Des nerfs sectionnés, repoussant mal après une chirurgie réfractive, des Demodex présents dans les glandes de Meibomius, une inflammation généralisée de la surface oculaire ou des paupières, un film lacrymal instable ne s’étalant pas sur la cornée sont autant d’informations précieuses, voire déterminantes.
De même, l’approche visuelle, grâce aux aberromètres, a permis de comprendre l’impact d’un film lacrymal inhomogène sur la qualité de la vision. Une vision instable, des sensations de brouillard, des halos sont autant de sources d’inconfort et de fatigue qui aboutissent à de véritables décompensations oculomotrices, d’autant que les patients qui en souffrent sont souvent presbytes, porteurs de verres progressifs, qu’ils travaillent beaucoup devant des écrans, dans des environnements potentiellement agressifs, secs ou trop lumineux.
C’est cet ensemble de technologies modernes qui est décliné dans ce dossier grâce à des experts qui sont devenus les véritables partenaires scientifiques de la démarche diagnostique. Des techniques sophistiquées qui repoussent les mystères de la surface oculaire, même si, malheureusement, repousser le mystère n’est pas toujours l’éclaircir…
Pr Christophe Baudouin
Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts