Particularités du patient presbyte

En 2021 le patient presbyte est actif, il travaille sur écran, consulte son smartphone, va se remettre au sport. Il conduit sa voiture ou sa moto et a donc de nombreux besoins visuels. De plus, le port du masque et la buée qu’il engendre lui rappellent combien les lunettes peuvent être un objet encombrant. Mais ce patient presbyte n’est pas un patient comme les autres quand il s’agit de lentilles de contact, il présente des particularités liées à son avancée en âge qu’il faut connaître pour optimiser et pérenniser nos adaptations.

Presbytie et lentilles

Cette avancée en âge, responsable en premier lieu de l’apparition de la presbytie, cap toujours mal vécu par le patient, va retentir sur la quantité et la qualité du film lacrymal, sur la statique et la dynamique des paupières. Les signes de sécheresse oculaires vont être majorés par l’utilisation des écrans et le CVS (Computer Vision Syndrome) ou syndrome évaporatif.
Il n’y a pas de limite d’âge pour adapter un patient presbyte mais au fil des années, quelques désagréments viennent s’associer car en fait, aucune structure de l’œil ni de ses annexes n’échappe malheureusement au vieillissement, et la cataracte ou les pathologies de la rétine peuvent venir compromettre la qualité de vision espérée.

Film lacrymal
La presbytie s’accompagne d’une diminution de la qualité et de la quantité des larmes par altération des glandes de Meibomius. Le syndrome sec va être majoré par le travail sur écran, et actuellement par le port du masque pour ceux qui doivent le garder au travail. Il faut aussi rechercher l’utilisation d’un appareillage pour apnée du sommeil car le patient ne pensera pas à le signaler. Toute atteinte cornéenne sera une contre-indication à l’adaptation.
À partir de la cinquantaine, les traitements généraux pour l’hypertension artérielle, la thyroïde ou la ménopause sont plus fréquents. Certaines classes thérapeutiques –antidépresseurs, diurétiques, neuroleptiques, traitements hormonaux substitutifs, anxiolytiques, bêtabloquants, antihistaminiques – vont avoir un effet délétère sur le film lacrymal en provoquant une hyposécrétion [1].
L’instillation quotidienne de collyres conservés avec du chlorure de benzalkonium et utilisés dans les traitements antiglaucomateux fragilise aussi le film lacrymal.
Dès ce stade, la première étape du tableau de prise en charge de la sécheresse oculaire selon Jones [2], qui concerne l’éducation du patient, peut être proposée en préventif pour améliorer le confort.

Paupières
Le relâchement progressif des paupières va réduire la fente palpébrale. Certaines pathologies, comme l’hyperthyroïdie, les syndromes dépressifs et les syndromes parkinsoniens entraînent des troubles de la dynamique palpébrale et modifient la mobilité ou le centrage des lentilles. La pauvreté du clignement ou une fermeture incomplète de la fente palpébrale peuvent provoquer une kératite d’exposition.
Le diabète ou les traitements immunosuppresseurs de certaines pathologies chroniques vont favoriser les blépharites et les chalazions.
Effet collatéral de l’adaptation, le retrait des lunettes met en évidence le vieillissement du regard et les rides qui étaient masquées par la monture, et il n’est pas rare que l’adaptation en lentilles soit suivie d’une chirurgie esthétique palpébrale. Celle-ci peut modifier l’astigmatisme cornéen mais aussi la dynamique palpébrale et la mobilité ou le centrage d’une lentille rigide.

Cristallin
L’adaptation en lentilles multifocales s’accompagne d’une diminution des contrastes qui sera majorée dans le cas d’une cataracte débutante. Une sclérose asymétrique du cristallin est à prendre en compte pour le choix des lentilles.

Évolution
Les presbytes sont des patients plus fragiles et l’équilibre obtenu peut vite être rompu. La surveillance doit être renforcée. Il faut faire la part entre ce qui peut être amélioré – réfraction, hygiène palpébrale, substituts lacrymaux, conseils environnementaux, rythme de renouvellement ou entretien, matériau des lentilles –, et ce qui est pathologique – cataracte ou dégénérescence maculaire. Certains porteurs s’accrochent à leurs lentilles en acceptant une vision médiocre, alors que le temps opératoire de la cataracte est arrivé.

Presbyte déjà porteur de lentilles

L’apparition de la presbytie est encore trop souvent une cause d’abandon des lentilles, car la fatigue causée par la gêne en vision de près va potentialiser les signes d’atteinte du film lacrymal déjà fragilisé par le port des lentilles et l’usage des produits d’entretien au long cours. Un des premiers signes d’alerte est la réduction du temps de port qui traduit cette diminution du confort, en rapport autant avec la sécheresse oculaire qu’avec la fatigue visuelle.
En présence d’un ancien porteur, son historique nous guidera pour l’adaptation, le choix du matériau et le rythme de renouvellement à privilégier, mais il redevient un nouveau patient et une réfraction « esprit presbytie » ainsi qu’un état des lieux précis sont nécessaires pour redéfinir les objectifs et choisir le principe de correction.
Le passage en lentilles multifocales représentant une différence de budget sensible, certains ont traîné les pieds et se sont déjà progressivement habitués à une correction par bascule. Celle-ci orientera aussi le choix des nouvelles lentilles.
Pour les patients porteurs de lentilles rigides, souvent amétropes forts, adaptés de longue date, et pour lesquels le port des lentilles est précieux, c’est un virage délicat. Il ne faut pas hésiter à suspendre le port quelque temps afin d’éliminer un warpage et de favoriser la translation des lentilles. Une lentille suspendue sous la paupière supérieure ne permettra jamais une adaptation satisfaisante lors du passage en multifocale. Si nécessaire, une modification de la perméabilité à l’oxygène du matériau limitera les dépôts ou les conflits de surface.

Nouveau porteur

Le nouveau porteur est souvent un patient « naïf » qui pense que l’adaptation en lentilles pour presbytes est aussi simple que la prescription de verres progressifs.
L’interrogatoire et l’examen permettent de préciser le profil de ce nouveau porteur : pour fixer les objectifs, il faut connaître ses besoins en fonction de la vie quotidienne et les corréler à la réfraction, la qualité de la vision binoculaire et l’état des milieux transparents.

Profil selon les activités professionnelles et les loisirs
Les écrans grandissent, se multiplient et occupent une place de plus en plus importante dans la vie de nos patients presbytes. Le confinement et la situation sanitaire particulière actuelle ont fait augmenter le temps passé sur écran, et qu’il soit actif ou retraité, le patient presbyte n’y a pas échappé. Les troubles engendrés par le CVS majorent les signes liés à la presbytie mais le porteur les reportera spontanément sur le port des lentilles. L’interroger sur ses habitudes permet de l’éduquer et de limiter ces signes.
Le sport : le patient presbyte s’est remis au sport, s’il pratique le golf, le vélo et la marche nordique, le sport est alors une bonne indication et une motivation pour l’adaptation, mais attention aux sports ou pratiques aquatiques. Le presbyte ménage ses articulations, il fait de l’aquagym ou va en thalasso, et parmi eux, nombreux sont ceux qui, ne mettant pas la tête dans l’eau, (aquagym, longe-côte, jacuzzi, hammam), se pensent à l’abri des dangers des amibes et ne vont pas enlever leurs lentilles.

Profil selon la réfraction
La presbytie est un des rares cas où l’on adapte des patients emmétropes en vision de loin. Ces ex-emmétropes ne sont pas prêts à sacrifier leur bonne vision de loin et feront peu de concessions. Le myope, à l’inverse, ne supportera pas d’être gêné en vision de près. L’hypermétrope est le plus gratifiant à adapter car on le soulage de loin comme de près.
Pour les astigmates, les gammes actuelles se sont élargies et permettent de les adapter. Il ne faut plus négliger les astigmatismes dès qu’ils sont responsables d’une baisse d’acuité visuelle, car la fatigue et l’inconfort engendrés, surtout lors de l’usage d’écrans, conduisent à l’abandon. Malheureusement, là aussi le retentissement sur le budget est sensible.
Avant toute adaptation, l’examen de la réfraction est toujours corrélé à l’examen de la convergence, de la vision binoculaire et des dominances.
Comparer les exigences et les réserves permet de proposer un port occasionnel ou un port régulier.

Conclusion

L’évolution des gammes et des matériaux permet de répondre à ces multiples profils et nous pouvons actuellement proposer des solutions de plus en plus performantes alliant qualité de vision et confort. Mais en fait, la principale particularité est que notre patient presbyte se croit toujours jeune et espère retrouver la qualité de vision et la souplesse d’accommodation « d’avant ». Après un interrogatoire détaillé pour cerner les besoins, une réfraction précise et un examen ophtalmologique minutieux, la communication sera un temps nécessaire et capital pour expliquer les solutions mais aussi les limites de l’adaptation afin d’atteindre l’équilibre qui rendra notre patient presbyte heureux et toujours jeune.

Exemple de patient « naïf »
Mme A, 49 ans, responsable administrative et financière en entreprise, pratique les sports aquatiques, le vélo de course, le ski.
Réfraction : OD :  -2,75 (105° -2,50) = 10/10, addition nécessaire 2,00 ; OG : -2,50 (75° -2,25) = 10/10, addition nécessaire 2,00. OD préféré en vision de loin,  
L’astigmatisme est cornéo-cristallinien et la patiente est très sensible aux variations d’axe ou de puissance de l’astigmatisme.
Elle est en cours de rééducation orthoptique pour insuffisance de convergence.
Elle ne prend pas de médicaments en dehors de sa contraception orale.
Elle souhaite un port occasionnel.
Cette patiente, peu exigeante au demeurant, présente des particularités qui ne peuvent être négligées et qui seront un réel défi pour l’adaptateur.

Références bibliographiques
[1] Lecherpie-Balat F. Le confort en fonction du terrain. In : Confort et lentilles de contact. Bloise L, ed. Rapport SFOALC. 2011:104.
[2] Elmaleh V, Muselier-Mathieu A. La sécheresse et les pathologies de la surface oculaire. In : Les avancées en contactologie. Bloise L, ed. Rapport SFOALC 2019-2020:175.

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